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Rassemblement armé


L'avantage, quand on a un aïeul un brin turbulent, c'est qu'un événement peut parfois en cacher un autre. C'est le cas avec Louis Miniac (1822), celui autour duquel il est prévu que s'articule prochainement un documentaire réalisé par une société de production californienne pour une chaîne française. Ce jour, 2 août 2020, nous apprenons que le cher homme fut écroué à la prison de Saint-Malo, Ille-et-Vilaine, le 14 septembre 1848, au motif de "rassemblement armé".  L'intérêt de ce fait nouveau est qu'il révèle un pan tout autre du profil de Louis, alors cordonnier et jeune père de famille de 26 ans. Quatre ans après, il quittera la France en mai 1852, quittant définitivement sa femme et ses quatre enfants par la même occasion,  pour tenter sa chance lors de la ruée vers l'or en Californie. Jusqu'à présent, nous pensions que, cordonnier ruiné, Louis faisait partie de cette poignée de Bretons et de Normands proches des milieux maritimes pour jouer de cette proximité et être accepté comme passager à titre gratuit lors des voyages des "lingots d'or" financés par le nouveau pouvoir mis en place par Napoléon III  après le coup d"Etat de décembre 1851. Or, l'essentiel des quelque 3000 Français partis comme "lingot d'or" vers la Californie étaient des indésirables à la fois volontaires et  choisis par la préfecture de police de Paris, dont beaucoup de Républicains opposés au nouveau  pouvoir impérial. La participation de Louis à un"rassemblement armé"à Saint-Malo  à l'été 1848 change la donne. Alors, en septembre 1848, la Deuxième république vient d'être instaurée mais, depuis juin, un nouveau gouvernement a été mis en place, celui du général Cavaignac, ce jusqu'à l'élection présidentielle de décembre qui verra ce Bonaparte être élu à la présidence de la République, prélude à son coup d'Etat du 2 décembre. Formé de Républicains modérés, ce gouvernement Cavaignac compose avec les monarchistes... Louis aurait-il été un de ces Républicains plus radicaux dans l'oeil du pouvoir ? Mystère pour le moment...
Cette mise au écrou est-elle à rapprocher à la journée du 7 septembre 1848, jour d'émeutes à Saint-Servan ? Sans doute.  Ne serait-ce que parce que ce fameux 14 septembre, des dizaines de Servannais sont écroués à Saint-Malo, comme d'autre auparavant le 11 septembre. Parmi eux, nombre d'artisans. Le matin du 7 septembre,  journée insurrectionnelle appelé "Révolution des pommes de terre", des émeutiers servannais et malouins partis du casino de l'actuelle place Monseigneur Duchesne (voisin du Cunningham's) gagnaient le quai Trichet où des bateaux chargeaient des cargaisons de pommes de terre à destination de l'Angleterre. L'exportation de ce tubercule, denrée alors rare en raison de mauvaises récoltes, est insupportable à ce petit peuple en proie aux difficultés alimentaires.  La famine bretonne de 1846-1847 est encore dans les têtes. Dans les estomacs aussi. Excédés, les émeutiers jetaient tous les paniers de patates à la mer tout en caillassant la gendarmerie et la troupe de ligne venus rétablir l'ordre avec le sous-préfet Alexandre Chèvremont, palliant à la défection de l'essentiel de la Garde nationale appelée par le maire Gouazon. Place de la mairie, des Servannaises arrêtaient les gardes nationaux. Seule, une quarantaine d'entre eux  ne fit pas défection aux autorités. Dense, la la foule des insurgées et des gardes nationaux dissidents poussait les autorités sur le bord du quai lorsqu'une garde national dissident tira un coup de feu. Voyant l'imminence du danger, le sous-préfet monta sur une borne et ordonna l'usage des armes à la troupe. La foule séditieuse fut finalement refoulée par l'armée, baïonnette aux canons. Il n'y eut à déplorer que des blessés, dont le sous-préfet Chèvremont, alors commissaire du gouvernement provisoire à Saint-Malo.  Peu après la garde nationale désarmée fut dissoute et le sous-préfet félicité par le ministre de l'Intérieur, Antoine Sénard. Puis l'affaire de ces gilets jaunes d'un autre temps fut jugée en cour d'assises à Rennes...
En fait, le registre d'écrous est parlant. Entre le 8 et le 14 septembre, 60 personnes sont écrouées à la maison d'arrêt de Saint-Malo au motif de "rassemblement armé". Parmi elles, un quart de femmes, comme un quart de gens venus de la voisine  Saint-Malo. Hormis un rentier de Laval, ces écroués sont majoritairement des ouvriers et artisans, comptant quelques laboureurs comme quelques ménagères aussi.
Sur le plan judiciaire, l'affaire de la révolte des pommes de terre de Saint-Servan est rondement menée. Deux mois après la commission des faits, précisément du 20 au 24 novembre  1848, l'affaire est jugée aux Assises d'Ille-et-Vilaine à Rennes.  Le 20, 50 des 60 émeutiers écroués comparaissent devant la cour d'Assises. La relation du procès dans La Gazette des Tribunaux précise que les émeutiers servannais tinrent tête au régiment de ligne durant pas moins de douze heures et qu'apercevant les troubles depuis Saint-Malo, des émeutiers malouins tentèrent d'y répandre la révolte, vainement, maîtrisés par une troupe conséquente.  Au terme de cinq jours d'audience, le verdict tombe : de la prison ferme pour treize des cinquante émeutiers servannais. Deux meneuses prénommées Marie écopent de treize mois et onze émeutiers d'un an. Quant à Louis Miniac, il échappe ainsi à la case prison.


A la marge des recherches, nous découvrons que Louis Miniac sera également naturalisé américain le premier août 1873 à Brooklyn (anciennement San Antonio Creek, annexé à Oakland en 1872) dans le comté d'Alameda en Californie.