dimanche

Salut Malo !

 


Grande tristesse d'apprendre, par une kiné d'un proche, la disparition de Malo Louarn, figure de  la BD  d'humour en Bretagne, voici huit jours.

Malo, c'est toute une époque à Rennes, Paimpont ou Brest, celle des années 90. Alors qu'il avait grandement sa carrière de bédéiste derrière lui (La série Dupaxon dans Spirou, puis la série Rona chez OF dans les années 80, puis Les Bonnes Gens encore dans Spirou), il gardait sa passion toujours chevillée au corps, malgré quelques déceptions sur le plan humain. Un jour, il avait proposé ses services à un éditeur qui venait de vanter ses mérites dans un article. Pas de réponse. Une autre fois, un éditeur, Charles Dupuis pour ne pas le nommer, exigeait l'arrêt de la série de gags  Les Bonnes Gens signée par Malo et acceptée par Philippe Vandooren, après avoir découvert la série à la Une de son journal Spirou où elle était présente depuis deux ans !..  Sa vénération pour André Franquin restait cependant intacte, son admiration pour les Rennais Michel Plessix, Gégé et Jean-Luc Hiettre aussi. Pour autant, dans ces années 1990, Malo s'intéressait à l'immobilier, après s'être passionné pour la bourse. Malo était rusé comme un Louarn. Je me souviens de notre première vraie rencontre, dans un bistrot du bas de la place des Lices. Je lui parlais BD, il me parlait bourse et immobilier. Malo est un homme de passions successives. Multiples et parallèles pour certaines. Le foot, particulièrement sa passion rouge et noir pour le Stade rennais. Et sa chère Bretagne. Issu d'un milieu militant, Malo la vénérait. Il parlait breton, notamment avec les siens.  Il m'avait dit qu'un jour à Paris, il était monté sur scène pour calotter un homme qui avait eu l'outrecuidance à ses yeux de disposer de rouleaux de PQ sur sa propre tête pour singer une coiffe bretonne. Naturellement, Malo avait du caractère. Son caractère. Parfois impulsif. Tout comme son trait de plume et son esprit, vivaces. Et quelle drôlerie surtout !  Cet humour inondait ces bulles bavardes, rebelle et caustique, et portait ses bandes comme auparavant celles du Greg d'Achille Talon. Et quel dialoguiste !

Dans la vraie vie aussi. A Rennes comme à Brest, Malo était un homme de bistrots.  Il en aimait l'ambiance, la facilité des échanges, les habitudes. Il y donnait souvent rendez-vous. Il y travaillait aussi. Il savait aisément s'extraire du brouhaha ambiant pour se plonger dans la création. Michel Plessix n'en revenait pas, de cette faculté mentale.

Malo était un homme pragmatique, foncièrement indépendant, rebelle. Très tôt, il a oscillé de la création BD à d'autres investissements. Comme Philippe Djian dans le Luberon, passant du stylo à la truelle.  En 1992, Christophe Arleston, le scénariste Heroic fantasy, me disait que c'était la suite logique pour un auteur ayant créé Le candidat, album que l'Aixois appréciait et avait dans sa collection. Cette faculté de passer d'une passion créative l'autre a permis à Malo d'incarner l'une des plus belles réussites  pour un auteur de BD breton, si ce n'est la plus belle. Car Malo mettait la main à la patte.  Je crois me souvenir qu'il avait rénové lui-même ce qui fut ses premiers studios pour étudiants.

Je me souviens aussi avoir visité la première maison qu'il avait fait bâtir en lisière d'un bois près de Paimpont et qui lui servait de lieu de stockage pour ses premiers albums. Je me souviens d'un dimanche gris à éclater à la masse des cloisons d'une maison brestoise pour laisser le champ libre à l'artisan prévu le lundi matin. Je me souviens de visites à des locataires étudiants, à chasser la souris dans une cuisine. Je me souviens que j'ai dessiné le second Agatha Christie sur une petite table du chantier, entre des plaques de placo et des sacs de map.

Malo avait un regard aigu sur les êtres et les choses. Mais il était myope. Je me souviens nous avoir sauvé la vie un jour de pluie où nous allions à Brest par d'improbables routes de Cornouaille. Alors qu'il s'engageait à contre sens sur une route à deux voies bordée à notre droite par l'amorce d'une glissière de sécurité, je vis un camion nous foncer tout droit dessus.    "Malo, recule !" "Hein ?" "Recule je te dis !". Fissa, il recula alors que le camion klaxonnait et faisait des appels de phares. Il s'en était fallu d'une poignée de secondes - 5, 10 ? - pour que nous finissions en bouillie sous la cabine de ce 38 tonnes. J'étais à la place du mort. En l'espèce, cet après-midi là, il y avait deux places assises pour l'Ankou. Malo s'étonna de mon calme à lui intimer de reculer et on n'en parla plus.

Ce jour-là, ce n'était pas son jour. Ou plutôt, ça l'était.

"Kenavo", Malo.